La plume naturaliste #1

PLAN RÉGIONAL D’ACTION EN FAVEUR DES ODONATES : PRÉSENCE DE L’AGRION DE MERCURE ET LA RIVIÈRE PEUGUE

Par Linda Pouchard, technicienne environnement, administratrice et secrétaire.

En ce printemps 2019, l’association Écosite du Bourgailh entre dans sa 3ème année de participation au protocole STeLi (Suivi Temporel des Libellules1) dans le cadre du Plan Régional d’Action en faveur des Odonates, mené dans la Forêt du Bourgailh (Pessac, 33), site classé Espace Naturel Sensible depuis 2017.
Plusieurs zones humides ont été sélectionnées pour mener à bien ce protocole : autour de la « lagune » située dans une zone interdite au public, le long de la rivière du Peugue au niveau de bassin de Monbalon, et autour de la mare au bout du cheminement menant de la forêt au zoo, derrière les bureaux de  l’association. Quelques espèces ont également pu être observées dans leur patrouille en bordure de bois (Aeschne, Cordulie…) le long de la ripisylve.
Laurent Rousserie, Guide Naturaliste et Directeur de l’association, ainsi que Linda Po u c h a r d , T e c h n i c i e n n e Supérieure GPN, restent attentifs au
suivi de ces insectes, dont la diversité sur le site se remarque d’année en année. En 2016, une quinzaine d’espèces avait été recensée : Libellule à quatre tâches, Libellule déprimée, Agrion élégant, Anax empereur… Grâce à l’inventaire STeLi, ce duo de naturalistes a pu révéler une trentaine d’espèces dont l’Agrion de
mercure Coenagrion mercuriale, espèce protégée aux annexes II de la Directive Habitat Faune, Flore2 et de la convention de Berne2.

1Suivi Temporel des Libellules (site de Office Pour les Insectes et leur Environnement) : http://odonates.pnaopie.fr/steli/
2 DHFF + Convention de Berne (sites officiels) : http://ec.europa.eu/environment/nature/legislation/habitatsdirective/index_en.htm + https://www.coe.int/fr/web/bernconvention

Dès 2016, un inventaire des odonates a été réalisé sur plusieurs spots de la Forêt du Bourgailh (mares, rivière du Peugue), mais c’est en 2017 qu’a commencé le protocole STeLi. En cette première année, l’Agrion de mercure n’a pas été observé. Il faisait pourtant parti des pistes d’espèces autour du Peugue que m’avait suggérées Gilles Bailleux chargé de projets régionaux ou inter-secteurs au Conservatoire des Espaces Naturels d’Aquitaine. Pourquoi a-t-il fallu attendre 2018 pour cocher ce zygoptère ? Plusieurs facteurs non exhaustifs s’offrent à nous :
– l’Agrion de mercure était présent, mais nous l’aurions manqué ;
– les espèces exotiques invasives autour de la rivière (écrevisse de Louisiane, jussie, renouée du Japon, gambusie…) auraient un impact sur certaines espèces comme notre agrion, qui pourraient être remarquées de façon discontinue ;
– l’Agrion de mercure aurait débarqué en 2018 sur le site ;
– l’Agrion de mercure ne serait que de passage sur ce spot et son observation serait variable ;
– nous étions dans une phase larvaire généralisée (durée de 20 mois environ) ;
– le Peugue n’est qu’un lieu de passage occasionnel ; …
Pour essayer de répondre à ces hypothèses, il nous faudra attendre plusieurs années afin de notifier l’évolution des observations, à mettre en possible parallèle avec la présence et les éventuelles nuisances des Espèces Exotiques Envahissantes, la qualité de l’eau de la rivière, d’autres facteurs impactants, la fréquence de reproduction, etc. L’Agrion de mercure Coenagrion mercuriale fait partie de l’ordre des Odonata, du sous-ordre des Zygoptera et de la famille de Coenagrionidae (environ 11 espèces en France).

Après fécondations qui ont lieu d’avril à septembre, les femelles adultes pondent dans les parties immergées des plantes. Les larves sorties des oeufs sont peu mobiles et carnassières, elles vivent dans des eaux hautement oxygénées. Le stade larvaire dure jusqu’à 20 mois au cours desquels l’insecte évolue via une douzaine de mues. Une fois adulte, l’Agrion de Mercure affectionne les prairies bordant la ripisylve, notamment dans ses périodes de chasses et de repos,
il se déplace en rase-motte de la végétation et de l’eau, et le moindre obstacle (fourrés, encombrements de végétaux divers) limite sa zone d’habitat. Cet insecte peut s’éloigner jusqu’à 1km de son gîte larvaire qu’à la condition qu’il y ait des points de relais appelés corridors écologiques. C’est justement à la rivière du Peugue qui traverse la Forêt du Bourgailh et sa prairie humide, que cette espèce a été observée pour la première fois par Méline Grollier (stagiaire) et confirmée ensuite par Laurent Rousserie. Ce spot d’observation a été choisi en tant que zone d’intérêt selon les exigences du protocole STeLi et les conseils
de l’animateur régional :
-types d’habitats favorables (zone humide, prairie, boisement),
-distance de 500m minimum avec un autre spot
d’inventaire,
-même transect tout autour du spot.
La végétation de la ripisylve, de la prairie humide du bassin d’orage et du lit de la rivière se compose de (non exhaustif) : lentilles d’eau, ortie, canche, fétuque, houlque laineuse, joncs, achille millefeuilles, oenanthe, pissenlit, lysimaque vulgaire, nigelle de Damas, sphagnum, ronce, aulne, chêne, saules, etc. avec une forte présence des EEE renouée du Japon Reynoutria japonica et jussie Ludwigia grandiflora. Il s’agit donc d’un spot idéal si l’on fait fi ou presque de la présence des « invasives » qui peuvent être des facteurs limitants.
Le protocole STeLi est simple : 3 passages durant 3 périodes, mêmes observateurs, au moins 30 minutes à pas lents, météo favorable, comptage en nombre ou fourchette, note sur les stades/état/sexe (oeuf, larve, imago, exuvie, adulte) et comportements (chasse, reproduction, ponte, etc.). La capture n’est pas encouragée, l’observation se fait à l’oeil nu et/ou à l’aide de jumelles, et l’identification se fait à l’oeil nu ou par photographie (préférentiel). L’Agrion de mercure a été observé 5 fois sur les 9 passages. Les résultats ont été publiés sur le site www.fauneaquitaine.org après chaque inventaire. C’est cette année que nous pourrons apprécier la continuité de sa présence ou, à défaut d’observer des adultes, envisager un inventaire plus fin en nous concentrant sur les larves autour des habitats propices à leur développement (pouponnières de plantes hélophytes et hydrophytes en particulier) afin d’apporter un premier jet de réponses aux hypothèses formulées.

Photo Gilles San Martin par licence Creative Commons

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